L’ESPACE AUTOGÉRÉ DES TANNERIES Un centre alternatif de vie et d'activité politique, sociale et culturelle à Dijon BILAN PROVISOIRE ET PERSPECTIVES – D'OCTOBRE 1998 À JUIN 2005 "La nécessité nourrit l'ingéniosité"... et la combativité ! "Un espace collectif en opposition aux rapports de profit, de pouvoir et de consommation. Un espace d'expérimentation qui ne se contente pas d'être en réaction au système dominant, mais se veut un lieu de création et de mise en pratique." PROLOGUE Les Tanneries sont nées pour beaucoup des désirs de personnes qui avaient en commun de vouloir vivre à Dijon ce qui les avaient tant enthousiasmées dans les expériences d'espaces « libres » découverts au cours de leurs voyages et rencontres, qui souhaitaient ne pas se contenter de rêver mais voulaient construire, partager leurs luttes et leurs idées. Le 30 octobre 1998, les anciens locaux administratifs des Tanneries (situés 13 et 15 boulevard de Chicago) laissés à l'abandon par la municipalité depuis 1995, sont occupés par un collectif d'individu-e-s et d'associations dijonnaises. Pour y vivre d’une part, mais aussi pour mettre à disposition un espace de création, indépendant de l'état et du marché capitaliste. Depuis, plein d'idées et d'envies s'entremêlent… AGIR SUR LA QUESTION DU LOGEMENT ET DE LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE A travers l'occupation, le collectif entend alors dénoncer la spéculation immobilière, les loyers trop élevés, l’impuissance des individu-e-s isolé-e-s face aux pouvoirs publics et aux services sociaux. Face à la multitude de bâtiments vides à Dijon, il nous semble légitime d'investir cet espace inoccupé depuis bon nombre d'années et dont personne ne fait rien. Ses caractéristiques nous permettent de mettre en œuvre notre projet de vie collective, de faire revivre un habitat laissé à l'abandon, et de le transformer en lieu d'activités. De manière plus approfondie, cette démarche s'inscrit dans une remise en cause de l'idée de propriété privée et de la logique d'accumulation des richesses. En effet, nous pensons que les biens matériels en ce monde devraient être à la disposition des personnes selon leurs besoins, de manière égalitaire. Nous pensons que ces biens ne devraient pas être accumulés par quelques-uns, qui n’en ont d’autre usage que celui d'accroître leur richesse et leur pouvoir. Contre la propriété privée, nous prônons la « propriété d'usage ». PROPOSER UN ESPACE DE CRÉATION ET DE DIFFUSION INDÉPENDANTES Prisonnière des institutions, dépendante des subventions de l'état ou soumise aux exigences commerciales, la création laisse de moins en moins de place aux alternatives. À Dijon, de nombreux-ses artistes, comédien-ne-s, musicien-ne-s ne souhaitant pas se vendre n'ont nulle part où s'exprimer et montrer leurs travaux au public. Les Tanneries se devaient donc d'être un espace où puissent éclore les manifestations « artistiques » autres que celles de la culture de consommation, du star-system ou de la télévision. Un espace qui soutienne tous les réseaux « Do It Yourself » (« fais le par toi-même ! »). Des réseaux où solidarité et débrouille rendent la création et la diffusion accessibles à tou-te-s. Outre la volonté de réunir des acteurs et actrices de différents domaines, notre objectif est de montrer que la création peut fusionner avec la vie quotidienne, le social ou le politique. CONCILIER ENGAGEMENT MILITANT ET VIE AU QUOTIDIEN Il nous semble important de concilier lieu d'habitation et espace d'activité: nous ne sommes pas les premièr-e-s à penser que le personnel et le politique sont intimement liés et que pour espérer changer le monde, il faut aussi se changer soi-même. Le politique peut ne pas être un domaine austère et inaccessible. Pour nous, « la politique » n’est pas seulement la gestion de la vie économique et sociale par les grands de ce monde, mais surtout une manière d'appréhender tous les domaines de la vie: des relations interpersonnelles aux loisirs, de notre rapport à l'environnement à ce que nous mangeons, de la manière dont nous effectuons nos trajets quotidiens aux relations que nous entretenons par notre consommation avec des populations habitant de l'autre coté de la planète. Un concert, un sourire, une rencontre peuvent être aussi « politiques » que des milliers de personnes qui bloquent l'ouverture du sommet de l'OMC à Seattle. Nous basons donc la cohérence de notre démarche politique et personnelle sur la volonté de ne pas couper l'action militante de la vie. Cela nous différencie radicalement de tous les politiciens idéologues qui prêchent le changement, critiquent en théorie la consommation, la pollution de la planète ou les rapports de domination sans chercher à s'en dégager dans leur pratique. En somme, il s'agit de créer une structure où puissent se développer notre épanouissement individuel, un mode de vie en accord avec notre éthique et notre volonté d'agir sur le monde. PAR LE BIAIS DU SQUAT, ÊTRE MOINS ESCLAVE DU TRAVAIL SALARIÉ Nous sommes pour la plupart destiné-e-s à passer le plus clair de notre vie à travailler, au profit d'une entreprise ou d'un patron, pour faire face à tous les besoins financiers auxquels la société cherche à nous contraindre. Nous considérons le travail salarié comme une des aliénations majeures imposées par le capitalisme, et voulons conduire librement nos existences, en nous réalisant dans des activités qui nous appartiennent. La nécessité de payer son loyer est un des facteurs majeurs qui entraînent la dépendance vis-à-vis d'un travail à temps plein. Le squat, en abolissant le loyer et en encourageant le partage de ressources permet de réduire énormément cette dépendance, et dégager du temps consacré à d'autres activités plus constructives. À l'heure actuelle, nos alternatives sont néanmoins bien insuffisantes pour pouvoir totalement nous affranchir du besoin d'argent et nous continuons donc pour beaucoup à bosser à temps partiel ou par intermittence. VIVRE AUTREMENT ET CRÉER DES ALTERNATIVES LOCALES FACE AUX POUVOIRS EN PLACE Notre choix de vie collective nous amène à développer des notions de solidarité, de dynamique de groupe, d'échange de savoirs et de compétences. Nous préférons faire les choses nous-mêmes et ne pas rester passif-ve-s: récupérer plutôt que gaspiller; réparer plutôt que jeter; créer plutôt qu'acheter; participer plutôt que payer; communiquer plutôt que regarder la télé; faire les choses ensemble plutôt que s'enfermer chacun-e chez soi; s’enrichir de savoirs et pratiques dans des domaines tant « physiques » qu’« intellectuels » plutôt que dépendre de spécialistes. Comme d'autres espaces repris à la logique marchande, Les Tanneries sont un lieu où où l'argent et la compétition sociale perdent de leur importance. Un endroit où l'on se réapproprie son temps de vie, sa capacité à penser, à agir, à transmettre une information autre que celle que les médias nous balancent. Nous nous efforçons également d'analyser et de combattre les attitudes sexistes, racistes, âgistes ou homo/lesbophobes qui peuvent se retrouver à l'extérieur du lieu comme en son sein… Le système capitaliste repose sur l'exploitation et le profit. À l'instar de beaucoup d'autres squats, nous expérimentons d'autres modes de fonctionnement plutôt que d'attendre une « révolution » qui viendrait miraculeusement tout changer du jour au lendemain. Cependant, vivre et penser autrement est une recherche continue, et non pas quelque chose d'automatique, dès lors que l'on s'étiquette révolutionnaire ou militant-e. Nous pensons que des espace de liberté repris au système peuvent contribuer à mettre en place des sociétés libres, basées sur l'épanouissement des êtres qui les constituent. Ils peuvent faire la preuve par l'exemple de la viabilité d'autres modes d'organisation, et nous permettent de proposer dès aujourd'hui autre chose. En ce sens, Ils sont une action positive et complémentaire des luttes sociales que nous soutenons et auxquelles nous participons, qu'il s'agisse d'offensives contre les politiques menées par l'état ou par les multinationales, d'agir contre l'agriculture industrielle, contre la voiture en ville ou l'industrie pétrolière, de s'attaquer au contrôle social et à la répression, de solidarité Nord-Sud, d'aide aux prisonnier-e-s, de remise en cause du système patriarcal, de lutte dans les lieux de travail, écoles ou facs contre l'exploitation et la marchandisation… Bien-sûr, pour représenter un contre-pouvoir plus efficace, pour ne pas rester une alternative isolée mais réellement construire un autre monde, il faudrait pouvoir mettre en place des structures autogérées à tous les niveaux (alimentation, éducation, santé ou transports…), multiplier les liens et les échanges. Nous en sommes certes loin, mais il nous semble important de garder ces objectifs en tête et de chercher à créer dès aujourd'hui la réalité dans laquelle nous voudrions vivre. Nous espérons pouvoir continuer à contribuer à cela dans le futur… VOUS ET NOUS? FONCTIONNEMENT ET IMPLICATION DANS LE LIEU Les Tanneries ne sont pas une petite bulle fermée face au monde, mais s'efforcent d'être une structure ouverte à celles et ceux qui souhaitent rêver, s'exprimer, créer. Même si cela peut sembler un peu contradictoire avec tout ce beau discours théorique, nous voulons ne pas agir en idéologues ou en donneurs de leçons fermés sur une vision dogmatique du monde… Nous voudrions pouvoir réfléchir et discuter à partir des expériences et idées de chacun-e. Par ailleurs, il est indéniable que notre mode de vie est quelque peu différent des réalités quotidiennes que connaissent un grand nombre de personnes. Nous sommes conscient-e-s des incompréhensions réciproques que cette situation peut entraîner et du risque de s'enfermer dans un ghetto alternatif « conscientisé ». Nous ne voulons pourtant pas nous couper des gens et agir dans notre coin sans plus affronter les réalités de notre société. Nous n'échappons pas à une bonne partie des faits et idées que nous remettons en cause dans le monde actuel. Alors même si notre monde paraît un peu intimidant ou trop marginal, espérons qu'une bonne volonté commune d'aller au devant des autres, sans les juger à priori, nous permettra de mener des aventures ensemble et de créer des liens qui cassent ces barrières. Ce lieu fonctionne sur un principe d' autogestion. Chacune et chacun participe à l'organisation et à la gestion de l'espace au quotidien par le biais de réunions régulières et d'assemblées générales (AG) mensuelles. Ces AG sont ouvertes à toute personne désirant s'impliquer dans le lieu d’une manière ou d’une autre, dans la continuité du projet. Quelques changements sont intervenus en septembre 2004 afin de mieux structurer notre fonctionnement non-hiérarchique, formaliste et parfois néanmoins merveilleusement chaotique, notamment par la mise en place d'un groupe de programation qui s'attache à gérer la salle d'activité. LA LUTTE MENÉE CONTRE L'EXPULSION Notre projet a logiquement déplu aux pouvoirs en place qui ont régulièrement cherché à y mettre fin au cours des premieres années. Ils ont successivement caché leur peur de voir se développer une structure revendicative et échappant à leur contrôle sous une succession de faux prétextes que nous avons démonté un à un. Nous avons réagi par une série de manifestations, de tables de presse dans la rue, de journées portes-ouvertes et autres actions largement soutenues. Autant d'initiatives qui eurent le mérite d'informer un grand nombre de personnes de notre démarche et d'instaurer un rapport de force suffisant pour nous maintenir dans les lieux. Dans ce contexte, un « dialogue » s’est établi avec la municipalité, propriétaire des lieux. Si une telle démarche peut paraître quelque peu contradictoire avec notre volonté d’ autonomie et de lutte contre les institutions dirigeantes, il nous a alors semblé intéressant de privilégier la possibilité d’inscrire notre projet dans le long terme, pour en tirer au final plus que ce vers quoi la seule confrontation nous aurait probablement mené (l’ expulsion). La sécurité étant un problème évidemment important pour nous, nous avons réalisé des travaux considérables, de manière autonome, sans aucune subvention (que nous avons toujours refusées). Alors que les travaux de mise aux normes du bâtiment touchaient à leur fin, un incendie criminel a ravagé la toiture de notre partie d'habitation dans la nuit du 16 au 17 juin 2001. La mairie en a aussitôt profité pour briser les négociations en cours, alors sur le point d’aboutir, pour demander notre expulsion au Tribunal. Il s' ensuivit un long bras de fer qui dura tout l'été et au bout duquel la mairie, une nouvelle fois découragée par notre ténacité et par le large soutien manifesté, finit par abandonner l’expulsion. LA SITUATION ACTUELLE Après ces périodes difficiles, les activités ont repris – soirées publiques régulières et permanences tous les mercredi. En plus de la salle d'activités publiques, des locaux d'habitation ont été occupés et aménagés. Nous y sommes toujours, et entendons y rester un moment, ce grâce au soutien de toutes sortes apporté par quantité de chouettes personnes localement, mais aussi partout en France et ailleurs. En effet, sans la solidarité, et même avec la meilleure volonté du monde, nous ne serions pas arrivés à grand chose. En juin 2002, au terme de quatre ans de lutte contre les menaces d'expulsion, une convention d'occupation a été négociée avec la mairie de Dijon. Depuis, celle-ci nous laisse relativement en paix, ce dont nous profitons pour développer sur le long terme, et vivre nos rêves sans le risque imminent d'une expulsion. Les Tanneries sont ainsi devenues un noeud important au sein des réseaux de lutte anti-autoritaire et de la contre-culture Do-It-Yourself. Elles servent de base arrière pour la coordination d'évenement internationaux: manifestations contre le Forum Économique Mondial de Davos, campement NO-BORDER pour la liberté de circulation1, actions d'oppositions aux sommets du G8 ou de l'Organisation Mondiale du Commerce, caravane anticapitaliste contre le FMI et la banque mondiale, cuisine populaire végétarienne “Food Not Bombs”2, réseau de contre-information Indymedia3, projet itinérant de la caravane permanente4, réseautage intersquat français, rencontres de réseaux activistes comme Sans-Titre ou l'Action Mondiale des Peuples5, Nocturnes en marge des Rencontres Mondiales des Logiciels Libres6, entre autres choses. Les Tanneries s'inscrivent également dans la réalité dijonnaise comme un lieu primordial de la culture non-marchande: sept années d'activités publiques avec des centaines de groupes produits, et toujours aucun bénéfice marchand. Nous en sommes fier-e-s et diversifions nos activités avec un potager collectif, une zone de gratuité, un infokiosque (archivage et diffusion de textes de réflexion, de récits de vie, de revues d'actu, de presse militante) et un cybercafé gratuit mis en place par le collectif PRINT7, qui propose notamment des échanges de savoir autour des logiciels libres (GNU/Linux). UN BILAN ? Après 7 ans d'occupation, nous pensons être parvenu-e-s à concrétiser une bonne partie de nos projets, à vivre un paquet de choses assez magiques (et bien-sûr d’autres assez dures parfois) et sommes en mesure de tirer un bilan positif de notre action. En effet, ce lieu est rapidement devenu un centre d'activités important, à une échelle locale et plus encore. Les ateliers créés ont permis à de nombreux-ses individu-e-s de s' exprimer sous des formes multiples et dans la gratuité (peinture murale, cinéma, labo photo, sérigraphie, locaux de répétition, bibliothèque, réparation de vélo mais aussi ponctuellement: percution, musique classique, réflexion sur la décroissance, philosophie) et de se produire ou d'exposer. Nous avons à notre actif plus de cinq cent manifestations publiques: théâtre, concerts, chanson, débats, cinéma indépendant, cirque, expositions... Face aux mammouths de la culture abreuvés de subventions, nous avons prouvé qu'il était possible de proposer une programmation riche sans quémander un sou aux institutions. Les formes de gestion collective et la place primordiale laissée à l'initiative personnelle ont apporté une expérience stimulante. Celle-ci a permis à un certain nombre de visiteurs et de visiteuses de s'impliquer activement sans se cantonner au rôle de consommateur passif que réserve la culture institutionnelle ou commerciale. Le lieu a été aussi l'occasion d'échanges et de diffusion d'idées importants, et a permis la mise en place de nombreuses actions politiques. Toutes ces impressions positives ne doivent pas cacher les nombreuses insatisfactions et difficultés que nous rencontrons quotidiennement pour nous organiser en autogestion, développer une participation plus active et plus égalitaire d'un grand nombre de personnes, maintenir nos projets et les développer. Une somme de remises en cause et de questionnements constants nous aident, nous l'espérons, à progresser. Pour ces raisons, nous continuons! Parce que nous n'aurons que ce que nous prendrons, nous comptons sur vous, par votre soutien et vos contributions, sur tou-te-s ceux et celles qui sont venu-e-s partager avec nous, pour une AG ou une soirée, pour nous aider à continuer à exister. LES TANNERIES ET LE MOUVEMENT « SQUAT » Malgré les tentatives d’expulsion répétées de la mairie et un incendie, nous sommes toujours là. C’est selon nous la preuve qu'il est possible de se battre victorieusement face aux institutions et qu'un squat d'activité en France n’est pas forcément condamné à la précarité, au court terme et aux expulsions… pour peu que l’on résiste! Nous manifestons ici notre solidarité avec tou-te-s celles et ceux qui ouvrent des squats et doivent faire face à la répression des propriétaires, des pouvoirs locaux, de l'état, des flics et de la justice. Si le mouvement squat à connu des heures plus glorieuses à Dijon8, il est fort heureusement plus dense ailleurs, d'Amsterdam à Barcelone, en passant par Grenoble, Lille, St-Étienne et quantité d'autres villes... dans lesquelles des bâtiments abandonnés deviennent espaces autogérés! Nous n'aurons jamais assez de structures autogérées solides permettant de renforcer les mouvements de remise en cause du système. Un lieu comme les Tanneries représente un énorme potentiel, et il s'agit donc d'en tirer profit, sans laisser aux autorités la possibilité de le reprendre! Nous désirons être plus qu'une alternative, par la critique en actes de cette société et l'expérimentation pratique d'autres mondes, avec leurs imperfections et contradictions. On attend vos idées pour le reste! juin 2005, des gens des Tanneries 13-15-17 bd de Chicago, Dijon, France e-mail: tanneries@squat.net